Ron Mueck : Vanitas Vanitatum

« La vanité d’autrui n’offense notre goût que lorsqu’elle choque notre propre vanité. » Disait Friedrich Nietzsche.

Les vanités sont des compositions, des natures mortes le plus souvent, évoquant les fins dernières de l’homme elles évoquent allégoriquement la destinée de l’homme, figurant souvent un crâne.

Vanité : en vain.

L’artiste australien Ron Mueck expose sa plus grande installation à ce jour, intitulée « La messe » à la triennale inaugurale de la National Gallery of Victoria en Australie. L’œuvre présente 100 crânes géants habilement empilés les uns sur les autres. Ron Mueck est l’un des 100 artistes à présenter leur travail.

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Un retour aux sources pour cet australien, il est né à Melbourne en 1958, qui travaille à Londres depuis quelques années. Tout commença en 1986 grace a la fameuse série télévisée de Jim Henson « Le Muppet Show » sur laquelle il travaillait. En parallèle il réalise également des effets spéciaux pour le cinéma, avant de fonder en 1990 sa propre société de fabrique de mannequins destinés à la publicité.

De l’artisanat à l’art.

Il réalise un jour pour sa belle-mère, l’artiste Paula Régo, un modèle réduit de Pinocchio. La sculpture fascine le collectionneur Charles Saatchi, qui lui passe commande et l’inclut aux côtés de Damien Hirst dans une collection. C’était le début.

RON MUECK ATELIER

Il conçoit ses sculptures, qui reproduisent fidèlement le corps humain dans ses plus minutieux détails, grâce au silicone, au plâtre dentaire (pas au plâtre de Paris qui s’altère avec le temps) à la résine polyester et à la peinture à l’huile. Derrière sa précision clinique, un goût du morbide transparaît, à travers la déchéance de ses corps obèses et vieillissants accentuée par leurs dimensions anormales.

Ces crânes en sont un exemple. L’intérêt de Mueck pour la biologie humaine est évidente. Puisant son inspiration dans la pyramide des crânes de Cézanne, ainsi que dans les rituels chrétiens médiévaux, chaque pièce fabriquée à la main vise à célébrer l’existence humaine.

Dans une interview avec le Sydney Morning Herald, Mueck a dit : « La messe fait irruption dans les galeries du 18ème siècle comme un glacier qui avance sur un paysage, évinçant les seigneurs et les dames poudrées, un rappel de tous nos destins. »

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L’univers de Ron Mueck est un univers qui laisse pleinement place à la subjectivité du visiteur, ses œuvres permettent d’imaginer et de reconstituer l’histoire personnelle suggérée par ses personnages. Ses sculptures interrogent, dérangent, amusent. La présence ou l’absence de vêtements, un drap, un lit, un parasol géant… les accessoires contextualisent mais ne donnent pas de réponses. Ron Mueck ne travaille pas à l’échelle, jamais à grandeur nature parce que cela ne lui semble pas intéressant « Nous rencontrons des gens grandeur nature tous les jours ».

L’apparence physique de ses personnages hyperréalistes ouvrent une porte sur l’intimité, celle de Ron Mueck. Un monde d’incrédulité alors que nous sommes confrontés à des portraits de l’humanité plus réels que réels. Pas de la beauté, de l’émotion et toujours une interrogation.

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Expo RON MUECK

Il travaille l’impact émotionnel et psychologique, modelant une humanité impassible et muette. Ron Mueck ne parle pas quand il travaille. Ron Mueck ne donne pas d’interviews, ne parle pas de ses influences ou de ses processus, et évite les médias, laissant son travail parler pour lui-même. Des sculptures avec des imperfections microscopiquement détaillées. Les meurtrissures de l’âge sont écrasantes, les proportions épiques. Des peaux terriblement vivantes, il y a un sentiment de paix dans leurs expressions, mais un air triste. Une fin dans leurs attitudes, il donne vie à des personnages des êtres qui évoquent la mort, la vieillesse et la mélancolie. Il donne vie avec morbidité. Il commence par la fin comme le Benjamin Button de F. Scott Fitzgerald.

Le moment de la messe suivant la consécration (où l’hostie et le calice sont élevés par le prêtre) est nommé l’élévation, c’est aussi le nom d’un poème de Charles Baudelaire.
Je vous livre les deux dernières strophes :

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins; 

Celui dont les pensées, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!

L’artiste ne se sent exister que dans cet « air supérieur » qui le protège de l’imperfection du monde ici-bas, ce « monde rêvé » où il « cherche ce que la réalité ne peut lui offrir ».

En vain. Ainsi passe la gloire de ce monde.

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